Remarque : ce site contient des pages d'archives : Naomi et sa sœur sont arrivées en France début mai 2009 après 4 ans de procédures


Pour des informations sur les procédures : www.regroupementfamilial.info
 

Lettre ouverte à M. Kouchner, ministre des Affaires étrangères



Attribution des visas : fonctions partagées entre les ministères de l'immigration et des affaires étrangères

Monsieur le Ministre,


Je me permets d'attirer à nouveau votre attention sur un fait qui s'est déroulé loin des caméras : l'enlèvement contre rançon d'une enfant, avec séquestration pendant 4 semaines. C'est nettement moins qu'Ingrid Betancourt, mais plus long que pour les récents otages du Ponant. Rappelons l'âge de l'enfant : 10 ans ½. Mais cette affaire, n'étant pas médiatisée, ne semble pas avoir retenu votre intérêt.


Cette enfant, ainsi que sa sœur, sont mes belles-filles. Elles sont Congolaises, je les connais depuis 2002-03, pour avoir vécu avec elles, de l'époque où je travaillais au Congo. Elles ont reçu l'autorisation du regroupement familial en 2006, sans pour autant que les services consulaires français ne se décident à leur donner des visas. Bien au contraire, et suivant ce qui semble être l'« air du temps », vos services n'ont cessé de multiplier les difficultés, parfois de façon illégale, par exemple en refusant le simple dépôt de formulaires. Ainsi votre gouvernement peut se targuer d'afficher de bons « scores » en matière d'immigration.


Dans le même temps, ces enfants qui étaient des enfants « ordinaires » dans leur pays, sont devenus, depuis que j'ai épousé leur mère il y a quatre ans, des cibles de choix pour des malfaiteurs : belles-filles d'un Français, des kidnappeurs croient voir derrière ces enfants plus d'argent qu'avec de simples Congolais. L'une de mes belles-filles, Naomi, a été enlevée en février dernier. Nous avons payé la rançon et elle a été libérée après quatre semaines de détention dans laquelle elle était détenue au sol même d'une cabane pieds et poings liés.


Avant la remise de la rançon, j'avais fait relever tous les numéros des billets de 100$ : je souhaitais qu'une fois Naomi libérée, elle et sa sœur soient mises à l'abri de toutes représailles en France, et diffuser les listes de billets afin de tenter d'arrêter les malfaiteurs. Mais en vain par la faute -unique- de votre ministère : les visas continuant d'être refusés depuis Paris, nous ne pouvons pas lancer cette opération sans risquer de mettre les enfants en danger. Ainsi, et j'insiste bien sur les conséquences de l'action de votre ministère, d'une part des malfaiteurs courent toujours, mais d'autre part, ayant constaté le succès de leur opération et leur impunité, ils doivent être tentés de réitérer auprès d'autres familles d'expatriés.

Quant à la raison officielle que vous invoquez, elle n'est qu'une accusation implicite dénuée de tout fondement légal : vous ne savez plus quelle raison inventer pour justifier votre politique de l'« immigration choisie », vous inventez une création de faux documents de notre part, sans nous permettre de nous justifier lors d'un procès au pénal (puisque la notion de « faux » relève du pénal) et vous piétinez le principe de la présomption d'innocence. Nous demandons à nous défendre par des tests ADN !



L'hypocrisie de la loi sur les tests ADN


Cette loi avait été passée après de houleux débats en fin d'année dernière : elle devait permettre qu'en cas de doute sur l'authenticité de documents que des femmes puissent y recourir pour apporter une preuve supplémentaire de leur filiation. Cette loi est en vigueur, pourquoi refusez-vous de nous l'appliquer ?


Vous déclariez en septembre dernier que la politique de l'immigration choisie ne recueillait pas entièrement votre adhésion. Mais là, qui bloque ? L'autorisation de notre regroupement familial a déjà été donnée en 2006. Au début c'étaient les consulats français qui faisaient obstacle.


Mais aujourd'hui ce qui bloque, ce sont vos propres services parisiens... Arrêtons l'hypocrisie. À moins que vous ne nous appreniez que vous ne seriez au gouvernement que pour de la « figuration » et que vous n'auriez pas d'emprise sur ce qui se passe au sein de votre propre ministère ? De même je ne vois pas comment vous pourriez renvoyer la décision de refus sur une erreur du ministère de l'immigration, qu n'a été créé que plus tard. Non, c'est bien à vous que je m'adresse.


Les faux chiffres des consulats


Les étrangers, en général, et c'est encore dans l'« air du temps », sont suspectés de produire de faux-papiers ou de faux documents. Au passage, je souligne que la production de « faux » relève du domaine pénal, et qu'en cette matière sans décision judiciaire, la présomption d'innocence devrait être de mise : nous avons déjà vu la France condamnée devant l'Europe pour une affirmation d'un ministre de l'intérieur d'une culpabilité en dehors de ces règles.


Le débat au sujet de la nécessité de tests ADN a vu le jour sous l'affirmation que de faux documents étaient produits par les étrangers. Je me suis procuré les chiffres que votre ministère a communiqué au Sénat (chiffres consultables sur internet) :


En Afrique continentale sub-saharienne, grosso modo toutes les capitales présenteraient un taux de « faux » de 10 à 40% (ce qui est déjà énorme), puis Brazzaville et Conakry se distinguent avec 60 ou 65% et Kinshasa avec 90%. Nul besoin d'avoir fait des études en statistiques pour se questionner sur les 90% de faux à Kinshasa... Ce chiffre est trois fois plus élevé que dans les autres capitales, sans pouvoir afficher une quelconque justification.


À moins que ce ne serait-ce là une nouvelle théorie raciste : les gens qui naîtraient au Congo seraient prédisposés, plus que les autres, à produire de faux documents ?


Mais s'il n'y a pas de théorie raciste qui tient la route, qu'est-ce donc ? Serait-ce là une manipulation de certains consulats : pourrait-on imaginer que votre consulat payerait un avocat congolais, qui lui tout seul s'arrogerait le pouvoir de déclarer que tel acte est un vrai, et que tel autre est un faux, en dehors de tout passage devant une juridiction ? L'affaire serait vite bouclée ainsi. Dans notre cas particulier, nous savons que l'avocat payé par le consulat de France à Kinshasa a déclaré tout seul que les actes que nous présentions étaient des faux. Quel bel exemple de justice sous votre autorité.



Alors oui, il nous reste les tests ADN. Mais pourquoi, alors que la loi est sortie l'année dernière, ils ne seraient toujours pas pratiqués ? Et surtout pourquoi les refuserait-on à ma femme, qui les demande ? Auriez-vous peur de voir après débarquer des milliers de familles qui ont eu leurs papiers refusés ? Y aurait-il 2.000, 5.000 « erreurs administratives » ? Aïe aïe aïe, voilà un bon mauvais chiffre pour une immigration réputée « contrôlée ». Mais c'est un autre problème.



Au delà de ces questions administratives, nous rappelons qu'il y a urgence à ce que les filles puissent après ces récents évènements vivre en famille. Pendant 10 ans elles n'ont été élevées que par leur mère, et nous vivions tous ensemble quand nous étions en concubinage au Congo. Pourquoi lorsque nous officialisons notre liaison par le mariage, notre situation familiale serait cassée pendant plus de quatre années, alors que nous répondions à tous les critères de logement et de revenus ?



Et surtout l'urgence de quitter le Congo : les ravisseurs savent que nous sommes une famille qui paye, pourquoi vous nous empêcheriez de nous mettre à l'abri contre une récidive de rançon (ce que les spécialistes appellent un « deuxième tour ») ?



Après la libération du navire de luxe « le Ponant », on pouvait lire dans la presse que certains ex-otages souhaitaient retourner sur la même croisière, ce qui ne semble pas les avoir traumatisés tant que cela. De notre côté, il n'en est pas de même : la séquelles suite à la séquestration de Naomi persistent : plus que jamais notre famille doit vivre réunie.



Lionel Aubert




Remarque : une version de travail de cette lettre ouverte avait été adressée début mai 2008 au cabinet de M. Kouchner, sans que celui-ci n'y trouve quelque chose à redire.




 

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